Voiçi une histoire un peu étrange. Il y a quelques jours une société, Neuvivo, a publié un article sur leur médicament, NP0001, contre la SLA. Les chercheurs de Neuvivo ont étudié les données combinées d’anciens essais de phase 2a (NCT01281631) et de phase 2b (NCT02794857) qui d’après eux, ont montré que le NP001 ralentissait la progression de la maladie dans un groupe de patients âgés de 40 à 65 ans, présentant des niveaux élevés d'inflammation au début de leur étude.
NP0001 est un nom connu depuis une quinzaine d’années dans le domaine des médicament pour lutter contre la SLA. Un médicament similaire est WF-10.
Neuvivo est en fait la résurrection de la société Neuraltus. Neuraltus a été créé en 2009 par Ari Azhir, aujourd'hui PDG de Neuvivo, et Michael McGrath, directeur scientifique de Neuvivo. Neuraltus a cessé ses activitées en 2019, après des données décevantes les essais de phase 2 cités plus haut, de NP0001.
NP0001 est également associé à au moins deux controverses, l’une parce qu’essentiellement c’est du chlorite de sodium, un désinfectant courant et qu’un certain nombre de charlatans promotent comme remède universel.
L’autre controverse concerne une tentative par des malades de la SLA de reproduire ce médicament.
A partir de septembre 2011, certaines des personnes diagnostiquées avec cette maladie mortelle ont commencé rechercher la littérature publiée sur NP0001, elles communiquaient sur le forum de l’ALS Therapy Development Institute.
Premier effort de patients en 2008
Sur ce forum, le premier effort de patients pour étudier une thérapie potentielle de la SLA, avait eu lieu en 2008 à la suite d'un essai prometteur de phase 1 en Italie pour le traitement de la maladie avec du carbonate de lithium. L'étude de 44 patients a suggéré que le lithium ralentissait considérablement la progression de la maladie et aucun des 16 participants traités au lithium n'était décédé au cours des 15 mois de l’étude. Les forums de discussion des patients SLA ont alors commencé à discuter de ce résultat, comme ils le font de chaque essai clinique et aussi de la possibilité de prendre du lithium.
Comme il pouvait s'écouler des années avant que le lithium ne soit approuvé comme traitement de la SLA, mais que le médicament était déjà commercialisé pour le trouble bipolaire, il n'était pas difficile pour ces patients de s’en procurer.
Quelque 350 patients atteints de SLA ont donc commencé à essayer le lithium pour traiter leurs symptômes. Un patient SLA a publié une feuille de calcul Google Docs pour suivre les scores ALSFRS-R autodéclarés. Et Karen Felzer, une chercheuse scientifique de l'équipe des risques sismiques de l'US Geological Survey dont le père était atteint de la SLA, a créé un site Web pour héberger le projet.
Felzer, qui avait une formation en statistiques a examiné les résultats des patients à 3 et 6 mois. Les deux fois, elle n'a trouvé aucune preuve que le lithium ralentissait la progression. Aussi en novembre 2008, alors que Felzer publiait son deuxième rapport sur le site Web du projet, la plupart des patients participant au forum,avaient cessé de prendre le médicament.
En 2001, des patients veulent répliquer un essai clinique
En septembre 2011, sur la base d'articles et de brevets publiés, des patients de la SLA, comme Olly ou HappyPhysicist concluent que l'ingrédient actif du NP001 est le chlorite de sodium, un produit chimique utilisé principalement pour blanchir la pâte à papier ou pour désinfecter l'eau.
Certains achetent alors le précurseur de NP001, WF10, qui était connu pour contenir un peu plus de 50% de chlorite de sodium et pouvait être commandé en Thaïlande, où ce médicament avait été approuvé pour le traitement des conséquences auto-immunes des radiations cancéreuses.
Mais pour beaucoup, le coût de 12 000 $ pour un approvisionnement d'un an était prohibitif. Le chlorite de sodium, en revanche, pourrait être acheté auprès de fournisseurs en ligne pour seulement 50 $ par litre, soit 15 ans à la posologie indiquée dans le protocole documenté des patients.
Les patients ont contacté les inventeurs des médicaments et ont parlé à leurs médecins et entre eux des risques et du dosage approprié. Tom Poast, Silverfox sur le forum, qui n'est pas atteint de la SLA, était intervenu sur le forum als.net avec des informations sur la pureté des solutions de chlorite disponibles à l'achat, la dilution et le mélange, et le comportement du produit chimique. Plus d'un an et 1 000 messages sur le forum plus tard, une vingtaine de patients SLA décident que l'ingestion de chlorite de sodium valait le coup.
Organiser des essais cliniques de la SLA n’est pas facile, il y a peu de patients atteints de la SLA et en raison de la dégradation rapide (parfois en quelques mois) et du risque d'être assignés au groupe placebo, les patients pourraient être plus enclins à obtenir ce médicament par eux-mêmes, afin de s'assurer qu'ils obtiennent le composé actif.
Les essais cliniques de la SLA souffrent déjà de ce manque de patient, avec un petit groupe de patients, et surtout dans le cas d’une maladie hétérogène comme la SLA dont la présentation varie grandement d’un patient à l’autre, et aussi au cours du temps, il y a une mesure imprécise du taux de déclin, donc de l’efficacité du médicament testé.
De plus les données autodéclarées peuvent inclure d'innombrables biais. Les patients désespérés sont en effet susceptibles de percevoir une amélioration là où il n'y en a pas.
Par ailleurs, les patients qui choisissent de participer à de telles expériences ne représentent pas nécessairement l'ensemble de la population SLA. Par exemple, les patients qui ont recours à l'auto-expérimentation doivent être capable de lire les articles scientifiques, comprendre les subtilitées du dosage et bénéficier d’une supervision médicale, ce qui n’est pas le cas de tous les malades.
Le 15 août 2011, après sa sixième dose de chlorite de sodium, Eric Valor enregistre son premier effet positif.
"Discours apparemment plus clair", a-t-il écrit dans son blog. D'autres ont noté des améliorations similaires. L'excitation a été suscitée sur le forum du groupe lorsque l'un des patients les plus pessimistes, Ron Schaffer, signale de légères améliorations de son niveau d'énergie.
"Aucun placebo n'est nécessaire", plaisante alors un commentateur - "si à la fin Ron dit que le truc fonctionne, c'est un niveau de confiance de 99,9% avec N = 1." En septembre, Valor, n'utilisant que son œil droit, a terminé la construction du site Web du projet où ceux qui prenaient du chlorite de sodium pouvaient publier leurs résultats.
https://sites.google.com/site/alschlorite/documents
Premiers doutes
Cependant en Janvier 2012 les premiers doutes apparaissent. HappyPhysicist écrit sur PatientLikeme ; « Cela fait maintenant 8 semaines depuis ma dernière perfusion. Au cours des 4 dernières semaines, j'ai remarqué une baisse significative de mon état. Mon élocution est considérablement moins bonne et ma jambe gauche montre des signes de faiblesse au point que ma démarche a changé et que je me sens un peu déséquilibré. Ma déglutition est également pire. Je dois maintenant boire de l'eau à petites gorgées pour éviter de m'étouffer et je constate que j'ai de la difficulté à avaler de la nourriture, voire à m'étouffer avec de la nourriture à l'occasion. J'ai l'impression que ma progression a maintenant repris là où elle s'était arrêtée juste avant de commencer les perfusions de NP001. ».
À la mi-juillet 2012, des patients actifs du forum als.net reçoivent un e-mail de Jennifer Askt, rédactrice en chef du magazine The Scientist, au sujet d'un article qu'elle avait écrit sur l'essai OSC DIY et disant qu'elle avait l'intention d'écrire un livre. Elle mentionne qu'elle est en contact avec Eric Valor (ENV), Happy Physicist and Persevering en rapport avec le livre. The economist publie aussi un article.
Le but commun et la maladie extrêmement handicapante et mortelle n’a pas empêché les doutes, les querelles d’égos et autres chicaneries. Seuls un tiers, puis quatre patients semblent initialement avoir obtenu des effets bénéfiques de l’ingestion de chlorite de sodium, mais des années plus tard seul un patient fera cette revendication.
Il y a aussi ce qui a été appelé par Ron la "rage de la chlorite" Les personnes atteintes de SLA ont souvent peu de patience, sont dure avec les autres, y compris leurs soignants. La chlorite rend cela dix fois pire. Certains patients pensaient que cela pouvait avoir un lien avec la démence fronto-temporale (FTD).
Un participant assidu au forum, Ollie, remarque : « Cette maladie n'est pas statique - une fois que vous avez initialement modifié la réponse immunitaire, disons avec OSC, tout traitement a de moins en moins d'effet à mesure que le système immunitaire change. Il viendra un moment où la prise d'une substance qui a fonctionné au début, n'a plus aucune valeur ou peut même bloquer d'autres voies de réparation.
Ensuite, à mesure que la maladie ne s'arrête pas mais progresse plus lentement, d'autres voies biologiques deviennent plus importantes - le type d'action en cascade a changé.
Toute intervention pharmacologique, si elle fait quoi que ce soit, modifiera l'état de la maladie et, ce faisant, le taux de dosage devient moins efficace avec le temps, ce qui signifie que, à mesure que votre système change, vous devriez avoir besoin de moins d'OSC.
Si cela ne guérit pas la maladie, comme dans la SLA, alors la stratégie d'intervention doit changer en fonction de l'état de la maladie et ce changement des niveaux de dosage de la substance doit être basé sur le taux de maladie au fil du temps. »
Des commentateurs comme Némésis doutent des bienfaits de NP001. Il pensait que NP001 fonctionnait seulement pour les patients SLA dont la composante neuro-inflammatoire était plus forte que la composante neurodégénérative. Pour lui, le problème est qu'il est difficile de dire à l'avance si vous êtes un patient de catégorie A ou B.
De manière troublante, les inventeurs de NP001 disent que le chlorite de sodium pris par voie orale ne devrait pas fonctionner du tout car le produit chimique sera rapidement converti en dioxyde de chlore, qui est non seulement inefficace pour réprimer les macrophages, mais pourrait même être toxique. En effet, un rapport publié par les enquêteurs de PatientsLikeMe en octobre dernier sur figshare.com a révélé que "le chlorite de sodium a un effet potentiellement négatif ; nous sommes convaincus à plus de 80 % que cela aggrave le taux de progression des patients."
SilverFox (Tom Poast) avait pourtant prévenu les participants du forum : « Vous devez d'abord réaliser que le chlorite est un radical libre. Il peut provoquer un stress oxydatif pour le corps. Le corps fonctionne à l'oxydation, il est donc capable de gérer le stress oxydatif jusqu'à un certain point. Cependant, lorsque vous dépassez ce point, vous pouvez faire des dégâts. »
Frank Provost, qui avait participé à l’un des essais cliniques, racontait : "J'ai ressenti une brûlure importante de NP001 au site d'injection. Je ne peux qu'imaginer combien de dégâts seraient causés s'ils étaient pris par voie orale à la dose nécessaire pour être efficaces contre la SLA."
Depuis les travaux sur WF-10 en 2001, on sait que la réaction du chlorite avec les hémoprotéines est une étape centrale du processus d'activation du médicament. Le mode d’administration semble donc être impérativement par voie intraveineuse, alors que les patients du forum als.net ingère le chlorite de sodium par voie orale.
De façon similaire, Silverfox pensait que comme le pH du chlorite de sodium se situe entre 8 et 12, lorsqu'il est injecté dans le sang, il y a une réaction indésirable. WF10 avait ce défaut. Pour lui, Neuraltus réduisait le pH pour être beaucoup plus proche du pH sanguin normal et beaucoup moins d'effets secondaires.
Le mécanisme évoqué pour WF-10 et NP000 implique une conversion du chlorite principalement en taurine chloramine qui est une molécule à longue durée de vie dotée de propriétés immunomodulatrices. Par exemple, la taurine chloramine inhibe la génération de médiateurs inflammatoires des macrophages tels que l'oxyde nitrique, la prostaglandine E2 (PGE2), le facteur de nécrose tumorale alpha (TNF-alpha) et l'interleukine-6 (IL-6).
Au final, il s’avère que seul Ron Schaffer semble avoir bénéficié de cet essai du chlorite de sodium car sa maladie ne semblait pas avoir progressé par la suite. Il est resté le patient sympathique mais pessimiste décrit plus haut et s’est éteint le 22 septembre 2022. Il disait que le médicament lui avait bénéficié car contrairement aux autres testeurs, il avait voulu prendre une dose unique, non diluée. Il disait aussi que seule la dose administrée initialement avait été bénéfique, les essais ultérieurs ne lui avaient rien apportés.
Ces années n’ont pourtant pas été facile, Ron est resté un malade de la SLA quasiment paralysé. Impossible de se retourner dans son lit, d'avaler sans s'étouffer, aucune pudeur n’est possible. Il avait un humour féroce.